Réflexions
24 juillet 2024
Une année sous le signe du cancer
Détrompez-vous, ceci n’est pas une chronique astrologique mais bien le récit de mon année 2022-2023. Le traumatisme se dissipant tranquillement, je me sens désormais capable de partager cette expérience éprouvante et métamorphosante.
Septembre 2022 - Je découvre une masse compacte sur le côté de mon sein droit. Elle est bien définie, deux centimètres environ. On peut la voir à travers ma peau. Sûrement un hématome dû à mon accident de surf, qu’on se dit. Pour se rassurer. Attendons quelques semaines encore, les internets nous disent que c’est peut-être lié au cycle hormonal. Pour se rassurer, encore. Mais la peur s’installe. Une intuition plane en moi. C’est probablement plus sérieux que l’on pense. Un court séjour gastronomique à Lima, planifié depuis quelque temps déjà, apaise temporairement nos esprits.
Octobre 2022 - De retour à la maison, la masse étant toujours présente, une visite à la clinique médicale s’impose. Médecin généraliste, mammographie, échographie, biopsie d’urgence, voilà une très bonne façon de tester l’efficacité du système de santé privé costaricain. Tout s’est réalisé la même journée. Tout s’est embrouillé quand le radiologue a dit être convaincu à 90% que c’était un cancer. Nos corps tremblaient, des larmes coulaient. Les résultats de la biopsie sont arrivés deux semaines plus tard confirmant la présence d’un carcinome canalaire de stade II. Affligée, j’ai annoncé la nouvelle à ma famille et à mon entourage. Engourdie, le branle-bas de combat commençait.
Novembre 2022 - J’épargne ici certains détails mais nous avons pris la décision de revenir au Québec pour l’opération et les traitements. Parce que la panique était grande, parce que c’était plus rassurant de me savoir prise en charge par un système de santé connu, surtout parce que je voulais ma famille à mes côtés. Début novembre, je prenais donc l’avion seule, pour aller consulter des spécialistes au plus vite. Avec un calendrier déjà plein pour la haute saison, il fallait trouver une solution pour opérer le guesthouse. Le temps de tout arranger, c’est deux semaines plus tard que mon amoureux me rejoignait, à peine quelques jours avant ma chirurgie conservatrice.
Décembre 2022 - 13 décembre. Jour de ma fête. 43 ans. Jour de tempête hivernale. Le verdict final tombe. La masse retirée et analysée confirme la dépendance hormonale du cancer. Par chance, je suis négative au marqueur HER2, le cancer est donc moins agressif. Mais voilà que l’analyse des quatre ganglions retirés montrent que deux ganglions sentinelles commençaient à être malades, et un ganglion lymphatique était quasi atteint à 100% par le cancer. Bref, ce n’est pas bon du tout; d’autres ganglions lymphatiques peuvent être malades, et ce sont eux qui répandent le cancer au reste du corps. Je dois maintenant avoir des examens poussés pour savoir si le cancer a eu le temps et le culot de se propager à mes organes, à mes os, à mon cerveau. La chirurgienne me parle, mais complètement abasourdie, tout ce que j’entends et retiens sont les mots chimiothérapie, perte de cheveux, ablation des ganglions, radiothérapie, lymphoedème, métastases, soins palliatifs. En gros, je dois commencer au plus vite les traitements de chimiothérapie, qui devront être suivis d’une seconde chirurgie pour retirer tous mes ganglions, ainsi que de traitements de radiothérapie. Et si les examens montrent la présence de métastases, une chimiothérapie palliative m’attend…Trop triste, mon père n’est pas capable de me souhaiter joyeux anniversaire. Pour les autres qui le font, c’est avec grande amertume que je reçois les souhaits. À l’extérieur, la tempête s’amplifie, tandis qu’intérieurement, elle se déchaîne. C’est un jour gris dans tous les sens du terme.
Les résultats de mes examens ne présentant finalement aucune métastase, la fin de l’année s’est tout de même terminée de belle façon. Malgré tout, je nous revois encore attendre l’appel du médecin l’après-midi de la veille de Noël! Les secondes, les minutes, les heures, remplies de peur et d’inquiétude; le temps s’écoulant à une vitesse d’une lenteur insupportable. On a pu célébrer un peu le réveillon. Chaque petite victoire compte, il paraît.
Le 11 janvier 2023, la boule au ventre et le cœur serré, je commençais mes traitements de chimiothérapie. J’ai eu en tout seize traitements, échelonnés sur presque six mois. Les quatre premiers traitements ont été les plus dévastateurs : perte de cheveux, insomnie, perte de goût et d’appétit, crises de panique, angoisse, fatigue, déprime. Une des choses qu’on entend le plus lorsqu’il est question de cancer, c’est de rester positif malgré l’épreuve. Avec mon tempérament mélancolique borderline pessimiste, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Certes, on attaquait férocement le cancer, mais j’avais l’impression de disparaître avec lui. De me retrouver soudainement dans le sous-sol de la maison de mes parents, c’est une chose. De me sentir arrachée à mon rêve qui venait à peine de se réaliser en est une autre. Mais de ne plus me reconnaître m’a lourdement affecté. J’ai lu que pour plusieurs personnes affrontant un cancer, la perte de cheveux est un moindre mal. Tant mieux pour eux, j’ai envi de dire. La perte de cheveux a été le plus grand traumatisme dans toute cette histoire. Avec l’alopécie, mon identité s’effilochait tranquillement, tandis que l’estime et la confiance en soi prenaient la poudre d’escampette.
Encore aujourd’hui, après un an de repousse de cheveux, j’ai peine à me reconnaître, voyant une autre personne dans le miroir. C’est déstabilisant et vraiment difficile à expliquer. Lentement, je commence à me retrouver. Quoique je ne serai plus jamais la même personne mais plutôt une version différente de moi-même, que j’apprends à apprivoiser tous les jours depuis.
Pendant la première phase de chimiothérapie, me sachant très sensible psychologiquement, j’ai entamé des recherches pour trouver un oncologue au Costa Rica. Il fallait au moins que je regagne la maison. Que je retrouve mon havre de paix; le soleil, la chaleur, l’océan. Le 14 mars, on revenait à la maison. Le 17 mars, je commençais la deuxième phase de chimiothérapie à l'Hôpital Metropolitano de Liberia. Un peu plus de trois mois de traitement. Quinze jeudis consacrés à assaillir encore plus le cancer, quinze semaines de douleurs au corps et de grande fatigue. Au Costa Rica, la coutume veut que la personne qui complète ses traitements sonne une cloche pour signifier aux oreilles attentives présentes ce jour à l’hôpital, la fin d’une étape déterminante. C’est donc à la fois émue, exténuée, soulagée et fière, que je faisais tinter cette cloche le 25 mai 2023. Ce dernier retour à la maison fût plus doux qu’à l’habitude, sachant que mon corps pouvait enfin commencer à se remettre du choc brutal qu’il venait d’encaisser.
Juin 2023 - On revenait au Québec à la mi-mois pour entamer les traitements finaux de radiothérapie. Maintes réflexions, beaucoup de littérature, mais surtout une intéressante conversation avec un chirurgien, m’ont convaincu de ne pas procéder à l’ablation complète des ganglions de mon aisselle droite. Je trouvais trop grands les risques de développer un lymphoedème, soit une enflure permanente de mon bras droit. Le cancer, avec de la chance, c’est un état temporaire, une maladie qu’on guérit. Le lymphoedème, c’est un état permanent avec lequel il faut apprendre à vivre. Certaines personnes ont salué mon courage. Je pense plutôt avoir agi avec discernement. Je crois qu’il faut parfois questionner les spécialistes. Surtout en oncologie, où les protocoles sont rigoureux et stricts; parce qu’il faut sauver des vies. Mais que fait-on du quotidien du patient, une fois la vie sauvée? Certaines procédures médicales peuvent être lourdes de conséquence et grandement impacter la qualité de vie. Je pense avoir pris une sage décision. Je ne cache pas avoir peur que le cancer revienne. Dans tous les cas, l’épée de Damoclès est là pour rester, avec ou sans mes ganglions!
Depuis la nouvelle année, j’ai des suivis trimestriels auprès de mon oncologue. Pour suivre de prêt mon état, pour savoir comment je me porte, physiquement et mentalement. J’ai eu une première mammographie post-traitement en mars dernier. Tout est normal :) J’aurai à faire une mammographie annuelle pour plusieurs années encore. Pour inhiber les récepteurs des oestrogènes, je dois prendre une pilule par jour. J’en ai pour dix ans à suivre cette hormonothérapie. La liste des effets secondaires potentiels est interminable. J’appréhendais énormément, au point de questionner aussi la prise de ce médicament. Je me suis résignée cette fois-ci. J’ai bien fait. Outre quelques bouffées de chaleur en fin de journée, je m’en sors plutôt bien. Avec ce traitement oral, je limite les chances d’une récidive, sur le moyen et long terme. Puis, je me dirige tranquillement mais sûrement vers une ménopause précoce, un vieillissement prématuré, pour me garder en vie. Je lis beaucoup sur la ménopause. Semble que le débalancement hormonal entraîne des changements psychologiques qui peuvent mener à un questionnement identitaire...
Vivre à l’étranger prend maintenant un nouveau sens. Mon style de vie simple et en synergie avec la nature est exceptionnellement bénéfique pour ma santé. En même temps, être loin de ma famille me taraude de plus en plus. Si j’avais une récidive plus agressive dans les années à venir, vais-je regretter de ne pas avoir été auprès d’eux? Souvent, je me pose cette question. Mon amoureux dit que ma vie ici reprendra son cours normal au fur et à mesure que le traumatisme s’estompera. Fait est que l’étrangère qui est venue s’installer à Playa Avellanas n’est plus la même. Je suis devenue étrangère à l’étrangère que j’étais il y a de cela presque 4 ans. Tout est en tout!
Pour le moment, la vie se calme et nous continuons à vivre ici. On entrevoit peut-être partager notre temps entre le Québec et le Costa Rica à partir de l’an prochain. Rien n’est officiellement décidé, les implications étant quand même importantes.
Pour le moment, laissons le temps au temps.
Pura vida, todo va a salir bien. Qu’on dit ici.